Avec le changement d’heure vient un déluge de personnes sur les réseaux sociaux qui recommandent toutes sortes de choses afin de « prévenir » la catastrophe ultime : « mon enfant se réveille une heure plus tôt ».
On vous explique que certains enfants ont beaucoup de difficulté à s’adapter au changement d’heure et on recommande alors d’y aller progressivement en repoussant l’heure du coucher de 15 minutes chaque soir. Si votre enfant est plus sensible que les autres, on étire la sauce sur deux semaines.
Vous payez et assistez à une conférence pour vous montrer comment gérer un problème qui n’est pas encore un problème. Parce que « oui » ça pourrait bien aller, mais on vous dit que le changement d’heure risque d’empirer la situation de sommeil de votre famille, surtout si votre enfant est en régression de sommeil, et qu’une bonne maman prévient les problèmes. Vous êtes déjà à boute, et mobilisez vos dernières ressources pour mettre en place une intervention qui consiste à coucher votre enfant (et possiblement vous-même) 15 minutes plus tard chaque soir.
Arrive la journée du changement d’heure et « PAF!! » votre enfant se réveille pareil une heure plus tôt. Pourquoi??? Le problème est que cette recommandation ne tient pas compte des deux mécanismes biologiques du sommeil.
Dans notre corps, nous avons une horloge biologique centrale qui gère différents rythmes distribués sur une période de 24 heures (l’appétit, la tension artérielle, la température et différentes hormones). Cette horloge se synchronise chaque jour lorsque l’on se lève et que l’on s’expose à la lumière. Au bout de quelques jours, on se réveille spontanément à l’heure à laquelle nous sommes habitués de nous lever, montrant ainsi une bonne synchronisation des rythmes biologiques. Donc, ce qui prédit l’heure du lever, c’est l’heure du lever les jours précédant le changement d’heure, et non l’heure du coucher. C’est en raison de ce mécanisme que lorsqu’on couche nos enfants plus tard, ils se lèvent pareil à la même heure.
Ce qui veut dire que l’intervention devrait plutôt proposer une heure de lever plus tardive de 15 minutes chaque jour. Ce type d’intervention n’est pas toujours réaliste pour les familles qui ont de nombreuses obligations.
D’autre part, lorsque l’on se couche plus tard on joue avec le deuxième mécanisme du sommeil qui est le processus homéostatique. Ce processus correspond à l’accumulation du besoin de sommeil dans la journée. Plus on est éveillé, plus on accumule dans notre cerveau une neurohormone qui augmente la pression de sommeil et la somnolence. Lorsqu’on dort, le cerveau dissipe cette neurohormone pour que nous nous sentions en forme le matin au levé. Si on augmente la pression de sommeil en retardant l’heure du coucher, ça peut faire en sorte que l’on s’endort plus rapidement et que nous avons moins d’éveils pendant la nuit, mais ça ne prédit pas nécessairement l’heure du lever.
Si l’intervention proposée par une personne qui vend des services sur les réseaux sociaux n’a pas fonctionné pour votre famille, ça ne veut pas dire que vous avez appliqué la formule magique trop tardivement, que vous devez commencer à vous préparer beaucoup plus tôt l’année prochaine, ou que vous avez un enfant qui s’adapte mal aux changements. C’est possiblement parce que cette intervention ne tient pas compte des deux processus biologiques du sommeil.
Si vous ne faites aucune intervention, il se pourrait que votre famille s’adapte très bien au changement d’heure à l’intérieur d’une ou deux journées. Si votre enfant se réveille une heure plus tôt, et que ça ne rentre pas spontanément dans l’ordre. Vous pouvez intervenir en demeurant au lit le matin dans le noir avec votre enfant. Faites des câlins environ 10-15 minutes, puis exposez-vous à la lumière pour synchroniser l’horloge biologique de votre enfant. Vous pouvez ajouter un 10-15 minutes chaque jour, ou plus, selon la réponse de votre enfant. L’horloge biologique peut prendre quelques jours à se synchroniser, il faut donc garder l’heure du lever constante. Pour ce qui est de la pression de sommeil, vous pouvez repousser l’heure du coucher de 10-15 minutes chaque soir ou selon la réponse de l’enfant. Pour vous aider à y arriver, prolongez la sieste afin de diminuer la pression de sommeil le soir. Vous pouvez aussi effectuer des activités agréables, que vous et votre enfant appréciez, afin de gérer la somnolence avant l’heure du coucher voulue.
Si votre enfant souffre de perturbations ou de trouble du sommeil, consultez un professionnel de la santé. Méfiez-vous des gens sur les réseaux sociaux qui vendent des services pour régler des problèmes qui n’existent pas encore. C’est facile d’être bon lorsque l’on s’occupe de régler de faux problèmes. Soyez critiques face aux doubles discours du genre, vous n’êtes pas obligé d’intervenir, mais quand vous allez être au bout du rouleau vous n’aurez plus l’énergie pour intervenir, mieux vaut prévenir. Ce genre de discours semble bienveillant, mais augmente l’anxiété des parents, et les ventes de produits. Vérifiez les qualifications des intervenants auxquels vous faites appel, et assurez-vous qu’ils font partie d’un ordre professionnel qui protège le public de leurs interventions.
Dre Katia Gagnon, PhD NeuropsychologueSpécialiste du sommeil
Référence pour les mécanismes du sommeil :
Mindell JA& Owans JA. A clinical guide to pediatric sleep diagnosis and management of sleep problems. 3rd edition LLW 2015.
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